MÉTHODOLOGIE POUR LA DISSERTATION DE PHILOSOPHIE

1. Problématisation des sujets

- Qu’est-ce qu’une dissertation ?
 Une dissertation de philosophie est le développement d’une réflexion en acte dans le mouvement d’analyse d’un problème. Il convient donc de transformer l'énoncé du sujet (en général, une question) en un problème. Sa formulation devra apparaître dans l'introduction ; le développement devra en proposer un traitement réflexif et progressif permettant une « réponse » ou prise de position (en principe justifiée et donc non-dogmatique) sur la question.
- Qu'est-ce qu'un problème?
Ce n’est pas simplement une question. "Quelle heure est-il ?" Cette question ne fait pas problème en elle-même (il suffit d’avoir le moyen technique d’y répondre). Une question est problématique quand les notions qu’elle contient nécessitent d’être élucidées, quand sa réponse nécessite d'autres interrogations, des questions préalables. Tout sujet est donc à problématiser même s'il se présente déjà sous la forme d'une question. La problématique d’un sujet est l’exposé de ces questions ; elle est à peine esquissée dans l’introduction et développée, explicitée, avec ordre et clarté dans le développement. Concrètement, problématiser  un sujet, c'est donc faire surgir de façon justifiée les doutes, les réserves et les possibles contradictions portant, soit sur le sens de ses termes, soit sur les présupposées qu’il contient, soit encore sur les idées toutes faites qui prétendent lui apporter immédiatement une "bonne réponse". Un problème se constitue contre l'évidence première souvent fausse ou illusoire ; contre l'opinion, aussi ferme qu'irréfléchie ; contre les préjugés confortables et rassurants ; mais également contre tout argument d'autorité, contre les faux-savoirs, les abstractions vides ou encore les beaux discours. Un vrai problème est un grain de sable qui vient enrayer la mécanique bien huilée de la "réponse à tout" ; une difficulté réelle qui dérange la paresse de la pensée et réveille l'esprit critique. "Problème" vient du grec problema signifiant promontoire, saillie, obstacle. A ce titre il convient avec tout sujet que l'on vous "jette devant" (probalein), d'en faire apparaître le "relief''; de montrer le ou les obstacle(s) qu’une réflexion courageuse ne manquera pas d’affronter et de vaincre…
-  Comment problématiser ?
Le plus souvent on cherchera à montrer que le sujet donne lieu à des réponses ou opinions contradictoires et divergentes, soit à l'intérieur de la sphère du sens commun (ce qu’on en pense communément), soit encore entre une opinion commune et une thèse philosophique connue. On peut donc présenter la problématique du sujet dans les termes d’une alternative difficile, voire impossible à trancher (procédé seulement rhétorique, car en philo. il ne s’agit pas de « choisir » la réponse mais de la déduire).
                Si le problème est l’expression de contradictions sur un même sujet, la problématique lui ajoute la transformation de la perplexité que suscitent de telles contradictions en un questionnement ordonné visant à les résoudre par l'analyse et la réflexion. Elle est donc déjà par-elle-même un plan et un ordre de traitement. Un sujet problématisé ne pose plus de problème… de plan !

Deux façons de procéder

A- Par l’analyse logique, conceptuelle et critique du sujet. (Méthode rigoureuse et donc souhaitable.)
Elle ne doit pas se limiter à une décomposition de l'énoncé en ses différents termes, mais viser également les rapports des termes entre-eux, ainsi qu’en relation avec les idées qui s’y rattachent et avec les choses qu'ils désignent. En bref, il s’agit de produire une analyse conceptuelle permettant d’exprimer les contradictions, limites ou tensions constituant le problème.
Un exemple d’analyse conceptuelle de sujet : « Désirer est-ce nécessairement souffrir ? »
> (Terme) Désirer = viser un objet non possédé, dont on manque. Dans la mesure où le manque caractérise le désir, il en fait une « souffrance », un moment désagréable, un déplaisir.
(Terme) Nécessairement = sans autre possibilité, de manière inévitable, ce qui s’impose ou dont le contraire est impossible ; donc ce qui est « par essence » ou « par nature ».
> Rapport de termes Si le désir est dans sa nature même, une souffrance et si il est dans notre nature de désirer, (humain = être de désir), alors désirer serait nécessairement souffrir ; ce serait la condition « malheureuse » de l’homme qui ne peut vivre sans désirer et désirer sans souffrir ; marque de sa finitude ou « maladie incurable de l’âme ». Guérison impossible… donc renoncement désir (apathia) ou acceptation de la souffrance = positions ascétiques ou « moralisantes » (Stoïciens ; Kant…)
> (Contradiction) Mais, le désir est, tout aussi nécessairement, une dimension de l’existence humaine, propre à procurer du plaisir et à donner goût à la vie ! Le désir ressenti est déjà en lui-même du plaisir (comme excitation, sinon comme satisfaction). Faudrait-il donc renoncer au plaisir que visent nos désirs pour éviter le risque d’en souffrir ? L’absence de désir ne serait-elle pas une souffrance plus grande ? La souffrance de désirer n’est-elle pas le prix à payer du désir ?
> Au-delà de la simple analyse, le dépassement : le rapport du désir à la souffrance n’est pas nécessaire, mais contingent, on peut en souffrir ou non, et cela ne dépend pas seulement des désirs, mais de notre façon de les vivre, connaitre et réaliser. Seul LE désir est nécessaire à la vie, pas la souffrance de tel ou tel désir, mal vécu, compris, satisfait… Ainsi, il faut distinguer la dimension ontologique du désir humain (Conatus chez Spinoza) de ses variations psychologiques et surtout de ses régulations éthiques : le Désir est affirmation de l’être et source de valeur pour l’existence (Nietzsche), même si tous les désirs ne sont pas bons à satisfaire et il est clair que l’intelligence et la raison doivent en prendre en charge la « gestion » (Epicure, Spinoza, Nietzsche, Freud…).

B - Par étonnement (incertaine, mais efficace si complétée ensuite par un travail d’analyse)
Le questionnement peut naître de l’étonnement. Il s’agit de faire de cet affect en principe incontrôlable une capacité à ressentir la perplexité que suscitent les questions philosophiques. Il faut donc s’étonner, « se laisser affecter » par la question et son « étrangeté », son « dérangement » par rapport à des évidences établies (ici le « choix » du sujet joue à plein) et verbaliser les réactions intellectuelles qu’il  provoque en nous. Cette voie a ses limites : elle est empirique est donc, peu maîtrisable ; un peu paradoxale surtout : il faut savoir s’étonner ! 
Deux exemples : a) sur le sujet précédant : « Quoi ?! Désirer serait souffrir ? C’est absurde ! Au contraire, désirer c’est jouir ! Une vie sans désirer serait sans excitation,  sans piment ! Mais bon, il est vrai que l’on peut rester frustré… », etc.
  b) Autre exemple : « A quoi servent les preuves ? »
> (1ère réaction ou étonnement) « Comment cela ? Une preuve, ça « prouve » quelque chose, justement ! Ce n’est pas rien d’avoir des preuves, au tribunal par exemple… Cela assure la certitude et la véracité de ce que l’on pense ou dit…Quoi donc de plus utile qu’une preuve dans ce monde en quête de certitude ?
> (Amorce de réflexion, questionnement) Certes, mais les choses les plus essentielles, les convictions profondes qui donnent sens à l’existence ou fondent des jugements, sont souvent sans preuves et sans même  possibilité d’en recevoir : croyance en un dieu, en un projet politique ou personnel, confiance en autrui, amour, etc. Même en science, il est plus aisé de prouver le faux que le vrai (les vérifications et expérimentations ne font que confirmer ce que la théorie a mis dans le protocole d’expérience…) Donc en effet, à quoi bon s’accrocher à la demande, parfois irrationnelle, de preuves ?
> (Relance) Mais comment se passer de la certitude, d’un critère de démarcation entre savoir et croire ? Entre connaître et seulement penser ? Ne risque-t-on pas, en renonçant à la preuve et à sa valeur, de s’enfoncer dans le règne de l’arbitraire et du relativisme,  dans la confrontation sans fin d’opinions « toutes aussi valables »… nuit où toutes les vaches sont grises.
Il est bien clair que quelle que soit la façon d’entrer dans la problématique d’un sujet, il faut assez vite réfléchir de manière conceptuelle, travailler ces concepts en eux-mêmes et entre eux pour avancer.

2. Mise en forme  de  la réflexion

L’introduction doit d'abord amener le lecteur au sujet (que l'on citera littéralement) en le justifiant par l’évocation d’un exemple littéraire, du sens commun, d’une opinion, etc. (Ex. pour le sujet sur le Désir : évoquer le livre de Goethe, Les souffrances du jeune Werther !) ; puis, montrer en quoi consiste la problématique du sujet. Celle-ci peut apparaître concrètement sous la forme d'un système ou d'une série de questions ordonnées qui annonceront par elles-mêmes les grands axes de réflexion, et donc du plan. En effet, ces questions et axes de réflexion étant développés seront autant de parties et selon leur ordre de présentation en introduction. On peut ainsi se passer des annonces de plan trop scolaires ou trop programmatiques (« Dans une première partie, nous verrons que… »). Si le plan en trois parties (thèse, antithèse, synthèse n’est pas obligatoire, il est bienvenu en philosophie à condition que la synthèse ne soit pas une conclusion mitigées mais une vraie partie qui prend le positif des deux précédentes et le fond en une troisième idée nouvelle. Eviter les plans: "pour ou contre" ou "oui-non" qui conduisent à des argumentaires ou des résumés de doctrines.
                Le développement montre que le traitement du problème requiert un détour, un temps de réflexion et de délibération nécessaire à la construction progressive d'une position personnelle. Il se déploie dans le cadre défini par les questions de l'introduction, et au moyen d'analyses de notions et d'idées, de travail conceptuel, de raisonnements et d'arguments, d'exemples (tirés de l’expérience ou de la culture générale), si possible de préventions d'objections (servant à consolider les arguments), d'utilisations de références et de connaissances philosophiques (non obligatoires, mais souhaitées). En cela, il est inévitable que la pensée prenne certains "risques". Ceux-ci doivent bien-sûr être assumés, mais surtout être limités par un effort de démonstration et de justification permettant d'éviter les affirmations arbitraires ou infondées. La  réflexion est libre et personnelle, mais elle doit répondre à un triple souci: intelligibilité (clarté et continuité du discours); cohérence (logique de la pensée); et vérité (pertinence, justesse du propos). La dernière partie du développement doit apporter des éléments de réponse, de résolution ou de dépassement du problème. Mais, comment répondre étant donné la difficulté de la question et son caractère problématique ? La philosophie n'a ni la certitude vérifiable des sciences, ni celle invérifiable des religions ou croyances. Selon KANT, un jugement problématique n'affirme que des possibilités. Cependant, une réponse possible  n'est pas  une réponse floue, hésitante ou vaine (réponse dite "de normand") ; elle affirme sa possibilité d'être vraie sur la base des raisons produites. De fait, si le raisonnement a été conduit avec rigueur, une réponse cohérente et pertinente ne manquera pas de se produire logiquement, de découler de l'enchaînement progressif des idées…
                La conclusion a pour fonction de résumer la pensée et la position élaborée dans le développement. Elle peut proposer une « ouverture » sur une autre question que l’examen de celle choisie conduit à soulever. En philosophie, une conclusion aporétique (sans issue ou sans solution) est toutefois acceptable, à condition d’indiquer les raisons de l’aporie.

3 - Exigences & critères d’évaluation (= la même chose)

Pour  la dissertation
- Compréhension du  sujet 
- Problématisation  et  analyse 
- Développement  et  approfondissement  de  la  réflexion, selon un plan ou ordre rationnel 
- Explicitation  des  raisonnements  et  des  enchaînements  d’idées 
- Rigueur, cohérence  et  pertinence  du propos 
- Habileté et efficacité dans l’utilisation des connaissances, références, exemples  et  citations              
- Précision, clarté  et  correction  de  l'expression  écrite

Pour  le  texte (critères spécifiques modifiant ou s’ajoutant aux précédents)
- Compréhension de l'idée principale ou thèse du  texte 
- Insertion  de  celui-ci  dans  une  problématique  générale 
- Pertinence  et  justification  du  découpage 
- Repérage  des  idées  et  des  concepts  importants 
- Analyse  et  explication  de  ceux-ci 
- Analyse  de  la  logique  du  texte et, éventuellement, de  sa  rhétorique 
- Pertinence des critiques ou  discussions de la thèse comme des arguments durant le commentaire

4 - Conseils de présentation

- Ecrire le plus lisiblement possible 
- Sauter deux lignes entre l’introduction et le développement et entre celui-ci et la conclusion 
- Sauter une ligne entre chaque grande partie du développement 
- Faire un paragraphe avec alinéa pour chaque idée ou argument du développement 
- Laisser de la place en tête de copie pour l’appréciation et une marge pour les annotations 
Se relire et éviter les fautes d’orthographe 

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