Sur le Langage, etc.
Mon premier est un muscle du
corps humain très puissant
Mon second est la durée écoulée depuis la naissance
Et mon tout permet de tels jeux !
« Les mots, les choses et nous, nos idées »
N. Langage, Sujet,
Autrui, Réel, Politique
R. Subjectif-Objectif,
Absolu-Relatif, Nécessaire-Contingent, Persuader-Convaincre
Préambule
Sommes-nous
au milieu ? Entre les choses et les mots ? Mais, nous avons inventé ces
derniers et certaines des choses qui nous entourent… Parfois même avec des
mots, comme une promesse, par exemple. Qu’est-ce donc qu'une
« promesse » sinon l’acte de promettre : « Je te le
promets. » et voilà, c’est dit ! La promesse existe par ce seul acte
de parole ; « Dire, c’est faire » ou faire exister, telle est la
loi du Performatif, selon John L.
Austin (1911-1960). Mais attention ! Il ajoutait qu’il fallait
remplir des conditions de félicité pour
que les énoncés performatifs soient bien des faits, conditions au nombre
desquelles la croyance des interlocuteurs ! Le mot peut créer une chose, mais à condition que la
subjectivité humaine y mette du sien…
Nous ne sortons pas du triangle mots-choses-idées ;
triangle très ouvert du fait de l’incertitude des idées, de l’inconnu relatif
des choses et des significations flottantes des mots qui bien que fixés dans
chaque langue peuvent prendre une infinité de nuances dans l’usage de la
parole.
Nous voilà bien embrouillés ! Nous ne sommes pas au milieu, mais bien dedans ! Pas au centre, comme si
nous dominions les trois instances, mais
dans le jeu de tensions et de rapports complexes entre elles et c’est sans
doute pourquoi nous ne pouvons commencer (et continuer à) philosopher sans
passer (et repasser sans cesse) par une réflexion sur le langage, notre rapport
aux mots et celui des mots aux choses.
Problématique
rapide
Les mots sont
des « signes », donc « quelque
chose pour quelque chose d’autre » (selon les Scolastiques). Un signe
est une indication vers autre chose que lui-même ; il est intention de
sens et de direction ; le signe « montre du doigt ». Vers
quoi les mots font-ils signes ? Vers les choses ou des
représentations des choses ? Vers le dehors ou le dedans du sujet
parlant ? Et qu’est-ce qui nous assure que ce sont les bons signes ?
Qui croire ? Les mots ? Ceux qui les emploient ?
1. Le
rapport Mots / Choses
Les mots
expriment-ils la réalité des choses ? Leur vérité ? Ou bien ne
sont-ils que des étiquettes collées sur elles, des noms qui les désignent sans
les révéler ? Dans le Cratyle, Platon (428-348 av.) expose une controverse entre Cratyle qui soutient le
Naturalisme et Hermogène qui lui oppose le Conventionnalisme. Socrate mène la
discussion.
1.1. Thèse naturaliste : Selon Cratyle, les mots
primitifs expriment la « vérité des choses », ils nous en livrent une
connaissance, car ils leur ressemblent par le son ou par le sens ; comme
si les mots reflétaient le réel.
Ex. ressemblance par le son : « Rhéïn » roule
dans la langue et l’oreille comme le fleuve qui coule, or ce verbe signifie couler…
Ex. par le sens : Anthropos qui signifie
l’homme, en révèle la nature car son étymologie serait « celui qui voit
loin » c.-à-d. « qui se tient debout » !
>> Critique L’argument phonétique est relatif, subjectif et
arbitraire, farfelu ! Celui sémantique est carrément pris dans un cercle
logique : l’étymologie appartient à la langue et donc suppose un lien
mot/chose déjà établi alors même que c’est ce qu’elle prétend expliquer. Le
cratylisme = une croyance naïve en un pouvoir magique du langage ; comme
dans la Bible : « Adam » car fait avec de la terre,
« adâmah » en ancien hébreu (araméen).
>> NIETZSCHE (1844-1900), Humain, trop humain (1878) :
« C’est parce que l’homme a cru,
durant de longs espaces de temps, aux concepts et aux noms des choses comme à
des aeternae veritates qu’il s’est donné cet orgueil avec lequel il s’élevait au-dessus de la
bête : il pensait réellement avoir dans le langage la connaissance du
monde. Le créateur de mots n’était pas assez modeste pour croire qu’il ne
faisait que donner aux choses des dénominations, il se figurait au contraire
exprimer par les mots la science la plus élevée des choses ; en fait,
le langage est le premier degré de l’effort vers la science. (…) C’est bien
plus tard, de nos jours seulement, que les hommes commencent d’entrevoir qu’ils
ont propagé une monstrueuse erreur avec leur croyance au langage. »
1.2.
Thèse conventionnaliste : Hermogène soutient que les mots sont des créations arbitraires (au sens de non motivées par
les choses désignées), et qu’ils tiennent leur justesse non de la Nature, mais
de la convention linguistique et sociale « car
aucun objet ne tient jamais son nom de la nature mais de l’usage et de la
coutume de ceux qui l’emploient et en ont créé l’habitude. »
Socrate, lui, ne prend pas parti et
conclut la discussion en renvoyant à l’exigence de toujours penser la justesse
des mots au lieu de se contenter de l’imaginer contenu dans les mots ou leurs
sonorités…
Et le gagnant est… Saussure, 24 siècles après ! Ferdinand de SAUSSURE (1857-1913)
philologue suisse spécialiste du sanscrit et « père » de la
Linguistique, avec son Cours de
Linguistique Générale.
> Théorie saussurienne du signe En tant que signes, les mots renvoient à
quelque chose avec quoi ils ne se confondent pas. Entre eux et le
« quelque chose », la relation est arbitraire et non
motivée, sans raison naturelle ou logique. Le signe
linguistique est en fait doublement arbitraire. 1° D’une part, la face
son, le Signifiant, n’est pas
motivée par, ni ne motive la face sens, le Signifié. 2° D’autre part la réunion des deux, le Signe n’est pas non plus déterminé par la chose désignée ou signifiée
c’est-à-dire le Référent.
Remarque 1 : Pour arbitraires qu’elles soient ces relations (S/R et Sa/Sé) sont,
une fois établies, obligatoires (devant être respectées car indispensables à la
communication) et déterminantes (dans l’histoire de la langue et dans
l’organisation de la pensée). On ne peut, en effet pas, les changer à sa guise
et, à l’intérieur d’une langue donnée, elles conditionnent les usages et les
évolutions lexicales et syntaxiques (sans interdire la création et les jeux de
mots).Donc, éviter de prendre les mots pour des choses, croire qu’en
sachant parler, on sait tout court, ne pas « se payer de mots » ou
croire avoir prise sur le réel du seul fait d’en parler ; en répétant des
discours tout faits, pleins de mots vidés de leurs sens : langue de bois,
idéologies, topiques à la mode.
Connaître les
mots n’est pas connaître les choses auxquelles ils renvoient. On peut, par ex. expliquer le mot « Camembert » à un pygmée
ou à un esquimau apprenant le français. Mais, pour vraiment connaître le
fromage ainsi désigné, s’en faire une idée, il serait souhaitable qu’ils le
goûtassent ! Expérience gustative…
Remarque 2 : Comme l’homme, d’autres
mammifères communiquent, ont des « langages », mais celui de l’homme
n’est pas naturel. Il communique par un moyen artificiel, inventé,
culturel : les langues. Et ce moyen a une spécificité : la « double
articulation », conceptualisée par le linguiste André MARTINET.
Première articulation : entre une expression et du contenu, du son et du sens, les
« phonèmes », unités distinctives ou pertinentes de son, servent à
construire des unités minimales de sens (en français 24 lettres, mais 32
phonèmes) Ex. « vas ! » = phonétiquement /va / = 2 phonèmes /v/ et /a/ ;
/kanar/ = 4 phonèmes qui
ordonnés autrement donnent : « arnaque ».
Deuxième articulation : seulement d’expression, elle construit l’énoncé, la phrase, à partir d’unités de sens minimales
: les « monèmes ». Ex : « le vent frais » = 3 monèmes ; « il revenait » = 4 monèmes : il (pronom); re- (répétition);
venir (mouvement); -ait (passé).
Donc 1° avec un nombre strictement limité de phonèmes on
peut créer un nombre tendanciellement infini de monèmes
(« mots ») ; 2° avec un nombre très grand, mais
relativement limité, de monèmes (à un moment donnée de la langue puisqu’on peut
toujours en créer) on peut créer un nombre absolument infini d’énoncés ou de
messages ; 1ère + 2ème articulation = une création
lexicale et syntaxique infinie avec un nombre limité de moyens. Economie de moyens,
mais pléthore d’effets ou de résultats.
2. Le
rapport Mots / Pensée
2.1. « Penser sans les mots ? »
Les mots expriment nos pensées. Soit, mais cela semble vouloir dire que ces pensées existeraient avant et indépendamment des mots. Pourtant, il est difficile de connaître nos pensées sans mettre des mots dessus, sans les ramasser dans des mots. Cependant, nous aimons croire à l’existence de pensées indicibles, ineffables. À moins que cela nous arrange bien, parfois, par paresse de les formuler ou pour nous donner un air profond…
Comment
concevoir l’ineffable ? Faut-il le penser avec des
mots ? Ou sans ? Est-ce possible ? Peut-on en dire quelque
chose ? Ou faut-il, pour en rendre compte, se taire ? « Ce
dont on ne peut parler, il faut le taire », disait Ludwig Wittgenstein (1889-1951) à la fin du Tractatus
logico-philosophicus.
>> HEGEL (1770-1831), Philosophie de l’esprit, (1807), § 463, Rem.
« Nous n'avons
conscience de nos pensées, nous n'avons des pensées déterminées et réelles que
lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions
de notre intériorité, et que par suite nous les marquons de la forme
externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité
interne la plus haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre
une existence où l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par
conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. Mesmer [Médecin et magnétiseur du XVIIIe.] en fit l'essai, et, de son
propre aveu, il en faillit perdre la raison. Et il est également absurde de
considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité
qui lie celle‑ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a
de plus haut c'est l'ineffable... Mais c'est là une opinion superficielle et
sans fondement; car en réalité l'ineffable c'est la pensée obscure, la pensée à
l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot.
Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus
vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la
chose. Mais la faute en est à la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle
n'en est pas au mot. »
Soit le schéma suivant :
Pas d’ineffable absolu, ou « en soi »
donc ; seulement de l’ineffable relatif, relatif à la difficulté de
formuler des pensées non encore verbalisées et « profondes »… De
fait, poser un impensable et/ou un indicible, c’est
déjà, et paradoxalement, le penser, en parler (ex. théologie négative :
«Dieu est, mais on ne peut rien en dire »). En fait, on peut parler « de
tout et de rien » et même du
rien, du néant ; pourvu qu’il y
ait quelque chose à en dire (à signifier) y compris d’obscur, de mystérieux ou
en creux.
D’où le Principe
d’exprimabilité formulé par le linguiste John SEARLE : « Pour
toute signification X, et pour tout locuteur L, chaque fois que L veut
signifier X, alors il est possible qu’il existe une expression E telle que E
soit l’expression exacte ou la formulation exacte de X ». Faut-il s’en
étonner ? Non, car langage et pensée sont effectivement unis de façon
intime et cette union recèle un potentiel de créativité infini.
2.2. « Qui de l’œuf ou de la
poule... ? » Le Mot, enfant des impressions et des sons.
Les mots sont-ils une condition
nécessaire et/ou suffisante de la pensée ? De quoi est fait le lien,
apparemment si intime, entre mots et idées ?
Pour comprendre le lien entre la
pensée et le langage, il faut renoncer à imaginer que le rapport se constitue
entre l’un et l’autre comme s’ils existaient préalablement l’un et l’autre, en
étant étrangers l’un à l’autre. Il en va de même ente la poule et l’œuf, aucun
des deux ne préexiste à l’autre, tous deux viennent d’une autre espèce. La
pensée déterminée et symbolique et le langage articulé n’existaient pas, ni
l’un, ni l’autre, avant la rencontre du sens et du son ; mariage des
sensations et impressions avec la matière phonique.
Le schéma est donc celui d’une rencontre entre
deux choses distinctes, le sens et le son, qui s’unissent pour en former une
troisième faite de cette union devenue indissociable : le mot. On ne peut
observer le moment historique de formation des premières langues humaines, mais
on peut faire l’hypothèse plausible d’une
rencontre entre la pensée informe, les sensations obscures et les sons
devenant progressivement articulés, à la fois corps et véhicules de nos
pensées. Et cette hypothèse se vérifie au moins de façon analogique,
dans l’observation du babil enfantin ou dans l’invention de langues gémellaires
(glossolalie).
>>
SAUSSURE (1857-1913), Cours de linguistique générale,
2ème partie, chap. IV.
«Qu’on se représente l’air au contact d’une nappe d’eau : si la pression
atmosphérique change, la surface de l’eau se décompose en une série de
divisions, c’est-à-dire de vagues ; ce sont ces ondulations qui donneront
une idée de l’union, et pour ainsi dire
de l’accouplement de la pensée avec la
matière phonique. »
Une rencontre
amoureuse qui donnerait naissance aux premières langues humaines, bébés qui sont
donc résultats de l’accouplement et non pas sujets ou acteurs dans
l’accouplement. Aucune nécessité cosmique
n’a présidé à cette naissance et à l’histoire qui en a suivi. Une rencontre contingente,
mais qui a laissé des traces.
Donc, ni chose parmi les choses, ni,
non plus pur instrument au service de la
communication ou de la pensée, la langue parlée réalisent ou effectuent la pensée
humaine et lui permet de se communiquer le plus adéquatement possible. S’il est
inexact de dire que « le langage est le propre de l’homme », d’autres
espèces ayant des codes de communication ; on peut affirmer que les langues sont le média spécifique de l’homme.
3. Pouvoir des
mots et mots du pouvoir
Dans une société « pacifiée », c’est sur
le terrain de la communication que les rapports sociaux, qu’ils soient de force
ou de négociation, se déploient. Parler a donc des enjeux de pouvoir. Mais, il
faut distinguer le pouvoir psychique des mots, des discours d’autorité ou des
mots du pouvoir.
3.1. Le pouvoir des mots.
En Grèce antique, la philosophie se constitue en
partie contre la sophistique = art de manipuler les consciences, les
« âmes » en usant habilement des mots; art oratoire, de la parole
publique et persuasive qui emprunte à la rhétorique l’essentiel de sa
technique. (Rappel : persuader vise à emporter l’adhésion de
quelqu’un en l’affectant, en touchant sa sensibilité, par des discours ; alors
que convaincre, par une argumentation rationnelle).
>> GORGIAS de Léontium (487-380 av. JC), Eloge d’Hélène :
« Discours est un grand tyran (…) Il a
la force de mettre un terme à la peur, d’apaiser la douleur, de produire la
liesse, et d’inciter à la pitié. » Puis GORGIAS compare le pouvoir des mots au
pouvoir des drogues (remèdes médicaux). Il appuie sa démonstration sur un
argument a contrario : « Car si tous les hommes possédaient
le souvenir de toutes choses passées, la connaissance de toutes choses
présentes et la connaissance anticipée de toutes les choses futures, le
discours ne serait pas aussi puissant qu’il est. »
Le pouvoir des mots est
donc « pathologique », il nous affecte en bien ou en mal, comme les
passions. GORGIAS le compare au pouvoir des « drogues » qui peuvent
s’avérer des poisons (question de dosage). Le discours est un pharmakon, remède
et poison à la fois, relativement, selon l’usage. Le seul antidote étant alors la
connaissance. Reste le pouvoir discursif, verbal ou « médiatique »
des puissants…
3.2. Les mots du pouvoir
Le
pouvoir du discours peut également provenir de facteurs extralinguistiques,
être l’effet du pouvoir de celui qui parle ; effet sur les consciences,
effets intersubjectifs dans le rapport à autrui.
>> Pierre
BOURDIEU (1930-2000), Ce
que parler veut dire, (1982)
Fayard, (pp. 103-118) :
« Essayer de comprendre linguistiquement le pouvoir des
manifestations linguistiques, chercher dans le langage le principe de la
logique et de l’efficacité du langage d’institution, c’est oublier que l’autorité
advient au langage du dehors (…) La spécificité du discours d’autorité
(cours professoral, sermon, etc. [discours
politique]) réside dans le fait qu’il ne suffit pas qu’il soit compris (il
peut même en certains cas ne pas l’être sans perdre son pouvoir), et qu’il
n’exerce son propre effet qu’à condition d’être reconnu comme tel. (…)
L’efficacité symbolique des mots ne s’exerce jamais que dans la
mesure où celui qui la subit reconnaît celui qui l’exerce comme fondé à
l’exercer ou, ce qui revient au même, s’oublie et s’ignore, en s’y
soumettant, comme ayant contribué, par la reconnaissance qu’il accorde, à la
fonder. »
Sachons donc résister au pouvoir psychique des mots comme aux discours
d’autorité
et prendre la parole…
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